24 décembre 2009
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J’entre dans l’impasse qui mène à Chartier, dans cette cour semblable aux autres où le gardien a déjà sorti les poubelles, nettoyé le pavé et fait part des plaintes des habitants ennuyés par le bruit aux patrons du restaurant. Un groupe attend, marrant de faire la queue pour manger un steak haché sauce poivre mais c’est aujourd’hui le prix à payer pour un retour à la vraie brasserie-cantine des années muses du fameux « c’était mieux avant ». J’attends A. et M. en lisant la petite inscription signalant avec grandiloquence la mort de Lautréamont dans l’immeuble, à l’âge de vingt-quatre ans. Marrant aussi la manière dont ce groupe l’ignore superbement, pas que je souhaiterais les voir organiser une minute de silence, juste cette constatation que les lieux n’ont pas de sens, que l’on ne peut pas leur faire confiance en matière d’éternité. Ne placardez pas l’endroit de votre mort, vous serez déçu. A. arrive d’une démarche conquérante, celle de la fille qui en a un peu marre des quatre mètres qui lui restent à parcourir. Elle vérifie en même temps la répartition de sa frange sur son front, le bras parallèle au sol, l’avant-bras tourné vers le front, la main en pleine action. Régulièrement un serveur sort pour faire entrer et placer les groupes au complet. M. arrive en retard, un retard désolé, sans gravité, elle porte une écharpe rouge, cette belle couleur qui transcende les époques et les partis politiques, de Mitterrand à Villepin. A. manque de me couper en deux au moment de franchir la porte tournante de la brasserie, le serveur le note avec cette acuité qu'ont les serveurs pour l'anecdotique, celle qui précède leur répartie idéale dans toutes les situations qui prennent pour cadre le restaurant.
Plus tôt dans la journée. Un petit chemisier noir parsemé de motifs colorés malvenus, cerné à la taille par une ceinture rouge vernie, un vague effort de tenue soignée made in China. J'essaie désespérément de tirer quelque chose de plus des hallucinations visuelles du quotidien que ce qu'elles me font vivre dans leur immédiateté, c'est-à-dire rien. Il suffit que j'essore un peu trop un événement et voilà que je ne supporte plus ma malhonnêteté. Tout a été dit sur ce couple à quelques mètres de moi, elle boit son café, il mange sa pâtisserie avec des yeux ravis, ses cheveux courts vilainement colorés la font ressembler à n'importe quelle consommatrice d'un Intermarché du Loiret, ils ne parlent pas mais regardent et détaillent ce qu'ils se préparent à ingurgiter. Il me semble aussi un peu facile de mépriser ce quotidien de vieux couple, ces sorties ratées, ces voyages artificiels qu'ils ne parviennent même pas à faire semblant d'apprécier, cachés derrière leur guide du routard. J'oscille vainement entre les deux attitudes, mépris et indifférence, jusqu'à ce que le couple se lève, enfile ses manteaux, son bonnet, les gants de madame, et parte. Je ne sais plus bien si le fait que tout ait été dit sur eux m’empêche de le redire, me force à en dire plus ou me contraint à me taire. L’option « adulte » me désespère un peu, l’idée qu’on réserve gentiment à nos jeunes années le soin de s’émerveiller de tout. On pourrait croire que la distinction jeunesse/adulte en matière de curiosité banale et d’appropriation des évidences est un raccourci rempli d’exceptions, de contre-exemples, mais tout de même elle a une belle pertinence. Le couple est remplacé par un autre, plus jeune, qui a eu le bon goût de s'assurer une descendance braillarde en la personne d'un petit gosse qui bientôt apprendra à marcher et cessera de pleurer irrationnellement. Ainsi va la vie ou quelque chose du genre.