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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 01:15

 

fraises sauvages-copie-1

 

« Mais que sommes-nous donc si nous avons l’obligation constante de nous faire être ce que nous sommes, si nous sommes sur le mode d’être du devoir être ce que nous sommes ? (...) Cette impossibilité n’est pas masquée à la conscience, elle est la gêne constante que nous éprouvons, elle est notre incapacité même à nous reconnaitre, à nous constituer comme étant ce que nous sommes, elle est cette nécessité qui veut que, dès que nous nous posons comme un certain être par un jugement légitime, fondé sur l’expérience interne ou correctement déduit de prémisses a priori ou empiriques, par cette position même nous dépassons cet être – et cela non pas vers un autre être : vers le vide, vers le rien. »
Jean-Paul Sartre, L’être et le néant

« Ce n'est pas seulement la vacuité des choses et des êtres qui blesse l'âme, quand elle est en proie à l'ennui ; c'est aussi la vacuité de quelque chose d'autre, qui n'est ni les choses ni les êtres, c'est la vacuité de l'âme elle-même qui ressent ce vide, qui s'éprouve elle-même comme du vide, et qui, s'y retrouvant, se dégoûte elle-même et se répudie. »
Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquilité

« Il y a des consciences qui, à de certains jours, se tueraient pour une simple contradiction, et il n’est pas besoin pour cela d’être fou, fou repéré et catalogué, il suffit, au contraire, d’être en bonne santé et d’avoir la raison de son côté. »
Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société

Dans l’impression de tourner à vide il y a cette abolition complète de l’importance de moments qui ne sont plus vraiment distingués ou conscients, il n’y a plus qu’un large temps flasque et assourdissant qui se déroule comme pour en finir, comme une attente que l’on accepterait de supporter au nom de la chose attendue. Mais parce que rien ne se manifeste finalement comme ayant été attendu l’angoisse point dans la torpeur et l’empêche de s’oublier, l’engourdissement n’a même plus le privilège d’une anesthésie stable, au milieu d’une insensibilité qui avait cru pouvoir exister les sens se réveillent et leur réveil est douloureux parce que pendant leur sommeil les opérations continuaient à vif. L’hébétude n’est pas une solution du point de vue déjà tatillon des sens mais ce qui l’interpelle n’est jamais qu’une exigence, c'est-à-dire le désir simplement directif d’être autre chose, d’être ailleurs, d’ouvrir les yeux, de bouger les bras, d’activer ses mouvements, mais sans offrir, ni aux uns ni aux autres, l’image positive de leurs objets, le contenu alternatif de leurs remuements. Ce qui a à se dessiner en creux de ce que nous ne voulons pas être n’est pas qu’un envers induit par l’endroit, il n’y suffirait pas, c’est un espace à construire, un lieu d’actes et de paroles qui doivent être façonnés, qui réclament une vertigineuse et désarmante faculté d’invention, une présence inhumaine de tous les instants.

Que reste-t-il de réel au milieu de nos humeurs, entre un jour où les choses s’incarnent et une période où elles se diluent ? Les variations de teinte des émotions ne se laissent jamais saisir que sur le mode de l’incompréhension : il y a un autisme des humeurs passées qui, confinées dans le formol du temps révolu, ne veulent plus répondre de leur cohérence ou des circonstances de leur naissance et qui par cet aplomb gagnent leur bien-fondé. Cet hermétisme fragmente et éparpille, il forge une nouvelle temporalité, celle d'une scène de théâtre où l'on observe revenir comme des acteurs consciencieux le prisme des humeurs qui colorent cycliquement nos perspectives, sans pouvoir faire autrement que donner raison et crédit à la plus extrêmement actuelle, à celle qui trône devant nous comme si elle avait supplanté les autres. On ne peut pas se saisir en guettant ses différences d’approche des moments parce que les moments ne s’approchent pas comme des mystères à cerner, ils se colorent, ils se colorent tant et si bien qu’ils semblent présentement toujours endosser leur teinte naturelle, objective. Il n’y a pas de tristesses passagères, il n’y a que des tristesses fondamentales que le projecteur de notre conscience décide ou non d’éclairer. Ce qui est dans l’obscurité existe toujours, toutes les cordes restent à mon arc, joies et tristesses sont toutes là et il y a de cette égale mais non indifférente disponibilité une lucidité vertigineuse à tirer, un élan de puissance qui doit pouvoir s’extraire des « catégories sentimentales du milieu ».

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