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4 janvier 2009 7 04 /01 /janvier /2009 18:57


J.D. - Quand est-ce que vous avez été heureux, dans votre vie ?

Céline - Ben foutrement jamais, je crois, parce que, faudrait que, en vieillissant, j'crois que si on me donnait beaucoup de pognon pour être tranquille - j'aimerais bien ça - ça me permettrait de me retirer et de m'en aller quelque part, pour ne rien foutre et puis, regarder les autres... Le bonheur, être tout seul au bord de la mer et puis qu'on me laisse tranquille. Et manger très peu, oh, là... presque rien... Une bougie. Je vivrais pas avec l'électricité et des machins... Une bougie ! Une bougie, et puis, je lirais le journal... Les autres, je les vois agités, je les vois surtout excités par les ambitions, c'est un théâtre, leur vie, les riches ils se donnent des invitations par mutuelle pour se rendre des points... je l'ai vu, ça, parce que j'ai vécu avec des gens du monde, alors - Dites donc Gontran, il vous a dit ça, vous savez... ah, vous avez été très brillant, hier, Gaston, ah, vous savez ! Vous lui avez rivé son clou d'une façon ! ah, vraiment ! Il me l'a dit encore hier ! Sa femme disait : Oh ! Gontran a été étonnant ! - C'est un théâtre. Ils passent leur temps à ça. Ils se chassent les uns les autres, ils se rencontrent dans les mêmes golfs, les mêmes restaurants...

J. G. - Si c'était à refaire, vous choisiriez vos joies ailleurs que dans la littérature ?

Céline - Ah, tout à fait ! Je demande pas de joie, j'éprouve pas de joie, moi... c'est une question de tempérament, d'alimentation, jouir de la vie. Faut bien manger, bien boire, alors les journées passent vite, n'est-ce pas ? Si vous mangez bien, vous buvez bien, vous allez vous promener en voiture, vous lisez quelques journaux, ben, la journée est vite passée, voyons... Vous lisez votre journal, vous recevez, vous prenez votre café-crème le matin, ben, mon Dieu, l'heure du déjeuner est vite arrivée, après une petite promenade, hein ? et puis, ben, l'après-midi vous allez voir quelques amis... la journée passe, quoi. Vient le soir, coucher normal, et puis dodo. Et puis ça y est. Et surtout avec l'âge, hein ? parce que ça va plus vite, n'est-ce pas. Quand on est jeune, une journée, c'est interminable, tandis qu'en vieillissant... une journée est très vite passée. Une journée de rentier, c'est un éclair, alors qu'une journée de môme, ça va très lentement.

J.D. - Le temps, précisément, comment choisiriez-vous de le remplir, étant rentier ?

Céline - J'lirais le journal. J'irais faire une petite balade dans un endroit où on me voit pas.

J.D. - Y a-t-il eu des personnages exemplaires, à vos yeux ? Des gens que vous auriez voulu imiter ?

Céline - Non, parce que c'est toujours des choses magnifiques, tout ça, j'ai pas du tout envie d'être magnifique, aucune envie de tout ça, j'ai envie d'être un retraité qu'on ignore, alors... c'est pas du tout... ça ce sont des gens qui sont dans des dictionnaires, je veux pas de ça, moi...


(Propos recueillis au magnétophone par Jean Guenot et Jacques Darribehaude.)

Céline (Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand) (Courbevoie, 1894 ­ Meudon, 1961), écrivain français. Il a révolutionné l’écriture par l’introduction du langage parlé, souvent argotique. Dans un lyrisme débridé, son œuvre évoque surtout la misère et le désespoir humains: Voyage au bout de la nuit (1932), Mort à crédit (1936), Bagatelles pour un massacre (1937), Féerie pour une autre fois (1952), suivi de Normance (1954), D’un château l’autre (1957), Nord (1960), le Pont de Londres (posth., 1964, suite de Guignol’s Band, 1944). Ses prises de position antisémites et favorables au gouvernement de Vichy l’incitèrent à s’exiler (1944-1951).
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commentaires

F
J'adore Alice. J'a-dore Alice.Alice, Ô, Alice.Je me trompe toujours, je commence par le oui puis m'enfonce dans la foulée des non. Alors que c'est le oui qui triomphe, toujours. Alice mon Alice. 
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B
Féerie pour une autre fois me paraît le plus célinien, c'est à dire le plus fou, mais c'est Guignol's band (I et II) que j'ai préféré, avec une narration encore présente, dissimulée derrière les métaphores déchaînées. C'est aussi une histoire d'amour improbable qui apparaît finalement comme le seul remède à la noirceur du monde.
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O
J'ai justement commencé mort à crédit aujourd'hui, ça fait plaisir de voir les vidéos (et l'itw !)
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L
http://www.ubu.com/film/celine.html
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