5 novembre 2008
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Il me propose d'aller voir la Vénus de Milo au Louvre. Je n'ai même pas pensé à dire que je l'avais déjà vue puisque, bien sûr, ce n'est pas comme je l'ai déjà vue qu'il veut que je la voie. Alors je l'ai regardée cette Vénus, j'ai profité de l'occasion pour absorber tout ce qu'elle avait à dire. J'ai trouvé un petit coin sur sa droite d'où je pouvais la voir de profil, remarquer son nez grec, son pied massif et grossier ; j'ai compris pourquoi l'on disait d'elle qu'elle nous regarde, à force de la fixer je m'attendais presque à la voir bouger, à voir son maigre sourire lassé s'agrandir et son joli visage se tourner vers moi. Mais le marbre est resté fidèle à sa fixité légendaire et le déhanchement de la déesse ne s'est à aucun moment lassé de lui-même en un mouvement. Temps gris sur Paris, tout est plongé dans une brume stagnante qui annonce l'hiver, les femmes ont le nez plongé dans leurs écharpes, les hommes halètent et marchent rapidement, les jeunes mères parlent baby-sitting au téléphone. Lui est médecin, je l'avais déjà dit, il a pensé à m'apporter le programme des cours du collège de France, il coche les conférences qui valent selon lui le coup, il vante sans réserve Carlo Ossola et m'encourage à lire Les Jours fragiles de Philippe Besson, qui se présente comme étant le journal intime d'Isabelle, la soeur d'Arthur Rimbaud. Il insiste pour me prêter ses notes prises lors de la conférence sur Merleau-Ponty, présidée par Claude Lefort en deux mille cinq, sur le moment j'essaie d'esquiver la proposition, ce lien noué m'embête, il implique que nous nous revoyons pour que je lui rende ses écrits. Il a l'air d'y tenir et je ne me sens pas de "lui faire de la peine", je les range dans mon sac sans broncher. A la fin du dossier qu'il me confie il a glissé une feuille qui n'a rien à voir avec la conférence : "Vaincre le désir masculin en fascinant l'homme laissé sans voix, sans pouvoir avec ses gestes dérisoires. Triomphe d'une femme qui trouve en lui-même sa justification : triomphe sur le triomphateur, la femme trouve en l'homme la justification de sa séduction, elle exerce son pouvoir et y trouve sa jouissance qui devient celle de l'homme." J'ai besoin d'un repère moral mais la serveuse n'est pas là ; cette situation me dégoûte plutôt qu'autre chose mais, alors que j'ai en main les moyens pour la stopper net, je ne le fais pas. Pas encore.