13 septembre 2008
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Français. Le cours porte sur François Villon, sur la ballade, sur Paul Valéry écrivant sur Verlaine... et Villon. Chaque phrase qu'elle prononce est entrecoupée de pause d'importance, ces pauses que l'on utilise pour donner de l'importance à ce qui n'en n'a pas forcément. Son visage est ridé, son coup assez maigre, il se dégage nettement de ses épaules, son port est parfait. Ses habits sont choisis avec goût, raffinement, mais ils contrastent avec une figure grossière, roturière, vulgaire presque. Je dois m'avouer que je m'ennuie, je ne suis plus vraiment ce qu'elle dit avec tant de conviction, tout est trop espacé, je n'aime pas ses fioritures formelles. Je la regarde fixement, la tête penchée, appuyée sur la paume de ma main, j'imagine ces mêmes paumes encerclant son maigre cou, je n'ai aucune haine pour elle, aucun rejet, mais son cou porte aux fantasmes, il semble réclamer le contact et une certaine violence peut-être. Ses yeux dégagent beaucoup d'amour, ils parcourent vivement le visage des silencieux élèves assis devant eux, le stylo à la main, la main sur le cahier. Mais souvent son visage change brusquement d'expression, l'amour a rapidement fait de devenir hypocrite, il y a quelque chose de pervers dans cette femme. Je suis assise à côté d'un camarade dont j'ai fait la connaissance quelques minutes plus tôt, j'ai la fâcheuse tendance à oublier les prénoms mais son prénom est original et assez joli pour être retenu, je sais que je ne l'oublierai pas. Il respire fort, je n'aime pas les gens qui respirent fort mais petit à petit je m'habitue, je n'ai pas vraiment le choix, j'oublie le bruit régulier de sa respiration et je me laisse aller à penser plus loin, à d'autres choses. Au moment de s'endormir, lorsque l'on est vraiment sur le point d'être vaincu par le sommeil, il y a une période de semi-conscience où l'on peut décider de notre réveil si notre conscience, précisément, décide de reprendre du service. Parfois elle ne s'éveille pas suffisamment pour stopper le processus en cours mais saisit le sens des premières images du rêve qui arrive, alors que les paupières ne sont pas encore closes. L'absurdité de ces scènes heurte parfois le dormeur au point de l'extraire de son atonie, l'espace de quelques secondes, le temps de rassurer sa conscience aux aguets, de replonger dans le fleuve tranquille de la torpeur. Assise à ma place du deuxième rang, en cours de Français, je ne pense bien sûr pas à tout cela. Je pense à la position la plus discrète pour surveiller régulièrement mais discrètement l'horloge qui orne le dessus de la porte. Mon autre voisin est une voisine, parfois son soupir prend la forme d'un rire, lorsque la dame au cou maigre pose son regard sur elle et esquisse un mot drôle, un jeune homme du premier rang se fait moins discret, il rirait presque. Lorsque je l'observe je vois d'abord ses lunettes, leurs épaisses branches et la marque qui y est inscrite, D&G. Si je devais lui donner un surnom c'est ainsi que je l'appellerais. Parfois aussi, il lève la main, pour poser une question qui n'en n'est pas une. "Mais est-ce que l'on peut dire que l'amour que décrit Rousseau dans La nouvelle Héloïse relève de l'amour courtois ?" La dame répond "vous me comblez", il sourit, satisfait.
Midi quinze, la sonnerie a retenti et les élèves rangent leurs affaires, se lèvent, sortent. Sur le pallier une fille me demande qui est Mahaut. Je lui indique l'élève en question. Après le cours de grec je marche un petit peu vers la Seine, je me dirige vers Notre-Dame par détours, tout le quartier est bouclé par les forces de police, j'entre dans le périmètre sécurisé après avoir ouvert mon sac pour le montrer à un agent. Je n'ai pas envie de rester là toute seule, d'assister à quoi que ce soit toute seule, je me dis que si ma grand-mère avait été vivante au jour d'aujourd'hui je l'aurais accompagnée ici. Toute seule ça n'a aucun sens. Je rentre chez moi, il fait à nouveau assez bon, dès que le soleil perce les nuages les passants se débarassent de leurs vestes et exposent leurs épaules fraîchement bronzées, on dirait presque une danse. A vingt et une heure il y a le nouveau film de Christophe Honoré qui passe sur arte, en exclusivité comme on dit, je le regarde en cédant à mon penchant bobo, les films de Christophe Honoré sont là pour être regardés puis critiqués, c'est un plaisir dont on n'a aucune raison de se priver. Le lycée du tournage est Janson de Sailly, décidément ce lycée est triste. A la fin D. me dit "et bah c'était vraiment bien", je rétorque je pense le contraire, c'est toujours plus intéressant de s'opposer à D. que d'acquiescer. De toute façon je pense ce que je dis, je maudis Honoré pour la fausseté de son film, pour qui se prennent ces gens qui idéalisent la vie, la figent dans une position irréelle ? Ce n'est pas ce que j'appelle poésie, la poésie a des bases plus saines. Son film ressemble à la réalisation fidèle d'une recette, comme si les émotions se provoquaient à l'aide d'ingrédients précis, les fausses émotions j'entends, comme les larmes devant Le Nouveau Monde. Qu'est-ce qu'une vraie émotion, qu'est-ce qui fait qu'un film sera sincère là où celui de Honoré ne fera que nous tromper ? Je crois que la vraie poésie ne nous donne pas de faux espoirs, ne provoque pas de frustrations face à ce que l'on voudrait vivre, la vraie poésie révèle la beauté de la réalité sans solliciter le mensonge.