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15 juin 2010 2 15 /06 /juin /2010 04:09


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Le serveur apporte un coca et un sandwich dans la lumière jaunâtre de la terrasse où nous sommes assises, le rouge du pull de Murielle est moins rouge, son visage est choyé par cette couleur chaude en même temps que sa main se pose sur son front en une vaine tentative de gérer physiquement une migraine tenace. Les vacances vont durer cent vingt jours et nous traînons déjà un peu notre malheur dans les rues, notre déprime crasseuse du « tout est à faire », lorsque nous renouons avec la décevante réalité après avoir vu Robert Mitchum et Jane Greer s’aimer comme des fous entre deux cadavres et trois coups de pistolet, Deborah Kerr vivre les larmes aux yeux, la sagesse à la main. Comme si le cinéma oubliait parfois de nous ramener doucement aux choses du monde après être né d’elles, comme s’il comptait sur nous pour accepter toutes ses histoires sans dommage, juste comme des pauses, des étourderies. Sauf lorsque nait la satisfaction d’avoir vu quelque chose, de la beauté, de la justesse, du miraculeux, lorsque les dialogues sont radicalement étonnants dans leur simplicité, lorsqu’ils volent devant nous et que nous les rattrapons avec plaisir et surprise, lorsqu’ils ont eu la capacité rafraichissante de nous sortir de nous-mêmes, de décloisonner nos positions.


Alain Garel qui parle de Fritz Lang à la filmothèque, toutes ses remarques fonctionnent, toute la structure qu’il décrit prend forme, le film s’épaissit parce que tous ses plans sont pensés et que toute seule devant lui je ne l’aurais pas autant su. On ne nous montre jamais le ciel : je ne l’aurais pas dit, pas pensé, je n’aurais que vécu l’ambiance claustrophobique ; comme une recette réussie dont l’on viendrait nous dévoiler les ingrédients. Il y a quelque chose de satisfaisant à recomposer le puzzle, à cerner l’agencement des ingrédients mais il y a à craindre de s’arrêter à la jouissance de cette première intelligence en oubliant la globalité du sens. Ca doit être l’insuffisance constante de ce qui n’est pas de la philosophie, il faut accepter de s’enfermer dans un cadre de plaisir précis, sans le dépasser parce que le dépasser reviendrait à le quitter. Alain Garel souligne la structuration géométrique des images langiennes, les immeubles dont on ne voit pas le sommet et qui forment des lignes verticales, l’omniprésence de la foule, le jeu sur les niveaux de la ville... Et qu’il déterre ces aspects est agréable, érudit, intelligent, mais je ne suis jamais sûre que cela suffise à dire d’un film qu’il est bon, un réalisateur qui orchestre savamment l’exhibition de son imagination fait-il forcément des bons films ? Faut-il d’abord avoir des choses à dire ou avant tout travailler à l’intelligence d’une histoire en images ? Les questions se posent pendant que j'observe son ventre sursauter sous les assauts d'une toux régulière, un gros ventre rassurant qui déborde paisiblement de la ceinture contraignante de son pantalon en toile.

La tristesse des vrais jours noirs n'est pas seulement celle de l'humeur, elle laisserait sinon facilement apercevoir sa réversibilité, elle s'accroche d'autant plus efficacement que nous la savons lucide, que cette manière particulière de percevoir, même si elle ne durera pas, est la plus honnête, la plus stable, celle vers laquelle on revient toujours après des pauses, après des distractions et des moments d'humanité, la plus fidèle. Je croise C. le temps d’un bonjour et il est conforme à sa nouvelle image, il n’est plus idéal, il n’est plus vraiment aimable, il me semble hostile, d’une hostilité qui m’ordonne de le fuir parce que je suis déjà trop disposée à me détester sans que l’on me pousse sur cette pente. J’essayais d’expliquer à ma mère cette dépendance étrange et banale aux autres, avoir besoin d’eux dans un fantasme vital qu’ils peuvent tout apporter, déchanter mais garder une trace de la dévotion première, ne jamais réussir à s’indépendantiser de leurs avis et de leurs jugements, tout vulgaires qu’ils soient ; ma mère a cru sceller la discussion en balançant un « dépendance affective », avec sur son visage cette impression énervante qu’elle avait dit quelque chose alors que, précisément, elle n’avait rien dit.

Unica Zurn, Sombre printemps
S’en vouloir un peu que le livre soit si bref, le refermer et lui consacrer un temps de digestion officiel, repenser à la fin, s’émouvoir, accepter le petit livre fermé qui gît dans ses mains pendant qu’on pense à lui, pendant qu’il infuse.

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