Le problème de l’été c’est que personne n’en veut, même ceux qui jouent le jeu des débardeurs en plein soleil sentent que quelque chose manque, que baigner dans sa sueur déodorantisée, les pores surexposés et dilatés, ce n’est pas à la hauteur des promesses de l’imagination, le soleil n’est pas qu’un sympathique gain en luminosité, il voudrait se rapprocher et nous cuire, cette perversité seul l’hiver nous en met à distance. J’attends Murielle rue Champollion sans trop savoir de quel côté de la rue regarder, je sais qu’elle va sortir d’une salle avec les yeux qui clignotent, elle marchera vite et n’aura pas regardé son portable, je dois être attentive pour nous deux. J’ai laissé Mickaël sur une promesse de se revoir très bientôt, souvent ces promesses sont là pour atténuer la séparation, on se dit à très bientôt pour se dispenser de l’au revoir, plus besoin de se quitter puisque l’on va se retrouver, c’est comme si c’était fait. En dinant avec lui sa manière d’être et de parler telle que théorisée puis oubliée me revient, il y a ce rapport au temps particulier, l’idée que dire quelque chose c’est prendre le temps de le dire, qu’un dialogue est un échange poli de phrases longues et réfléchies, c’est le propre de ceux qui pensent plus qu’ils ne parlent et qui ont assez d’aplomb pour rendre compte de cette étendue. Il y a aussi cette distance un peu scientifique entre lui et ses mots, pas d’implication furieuse, quelque chose de neutre et de digéré qui force le respect parce que la réplique qui se forge en est ennoblie, les essences ont l’air de discuter sans médiation, on travaille à s’oublier, à braquer le projecteur central sur le vrai centre, pas sur nos petits avis contingents. L’amour est mort mais il s’active encore, il ne croit pas à mon jeune pessimisme, il parle de l’amour-couple comme quelque chose dont on peut se passer mais dont on ne voudra jamais se passer quelque soit l’intensité d’usage de la raison ; dans la somme comparée des maux et des biens ce qui tend d’ailleurs à faire pencher la balance vers les biens c’est sans doute cette force motrice du désir, l’idée même de l’amour dont l’existence à l’état d’idée est – malgré tout – suspecte.
En marchant piteusement d’un pas qui ignore sa destination nait l’idée salvatrice d’aller acheter des livres comme on irait acheter les outils de son bonheur à venir, j’y temporise mon constat d’insatisfaction, je le suspends le temps d’accomplir l’achat et la marche vers ce but est paisible jusqu’à oublier les raisons de sa quiétude. Il y a alors une certaine déception à refaire le chemin de cet apaisement, preuve que les prétextes dont il se saisit ne sont jamais assez vastes pour l’accueillir tout entier, il se perd dans le ressenti mais dès lors que la sensation a besoin de retrouver ses raisons pour se prolonger le contenu de celles-ci n’est plus assez enthousiasmant, l’excroissance de la joie réalise que sa présence tout entière est injustifiée, l’insatisfaction refait surface, pire, elle se projette, émerge la conscience de la futilité de ses tentatives de diversion. C’est le rapport consommateur au contentement, l’idée stérile d’un apport qui vient combler une béance, c’est aussi le problème de l’amour-couple, une fausse réponse à un vrai problème.